C’est au moment de l’examen de l’affaire numéro 4 de l’ordre du jour du conseil communautaire de la Cirest, qui s’est réuni ce vendredi 27 septembre, dossier intitulé « communication du rapport d’observations définitives de la chambre régionale des comptes à l’assemblée délibérante sur la SPL Estival », tout est parti en vrille. Le gros clash en live entre Joé Bédier, maire de Saint-André, 1er vice-président de la Cirest, délégué aux transports et Patrice Selly, président de la Cirest et président par intérim, depuis juillet 2023, de la SPL Estival.

Patrice Selly à Joé Bédier : « vous percevez depuis 4 ans 70 000 euros d’indemnités pour un travail fictif; Ça c’est un détournement de fonds publics Monsieur Bédier… ». Réponse de Bédier à Selly : « vous êtes un grand malade ». L’altercation verbale a duré quelques minutes entre les deux élus. Puis, Joé Bédier et les élus de la majorité municipale de Saint-André ont claqué la porte. Notre journaliste Yves Mont-Rouge était présent :

Aux environs de 14h30, la séance avait pourtant commencé dans le calme. Patrice Boulevart, le benjamin de l’assemblée avait effectué l’appel. Le quorum était atteint, même si certains élus parmi lesquels le vice-président Jeannick Atchapa, maire de Bras-Panon et Johnny Payet, maire de la Plaine-des-Palmistes n’ont pas fait le déplacement. Examen rapide des rapports 1, 2 et 3. Arrive, dans la foulée l’affaire relative à la SPL Estival, plus précisément du rapport de la Chambre régionale des comptes sur les observations définitives. Il est question ici, vous l’aurez compris, d’un sujet qui a déjà fait couler beaucoup d’encre et de salive depuis l’année dernière. On ne va pas vous refaire le film sur la « gestion hasardeuse » de la SPL Estival du temps de l’ancien Pdg Ludovic Alamélou. Lorsque l’affaire a « pété » dans la presse locale, ce dernier a été révoqué et Patrice Selly a pris la direction par intérim. Il avait aussitôt fait un signalement auprès de la Procureure de la République. Joé Bédier avait quant à lui déposé plainte pour « détournement de fonds publics et complicité ».

Pas besoin de vous faire un dessin : les dérives financières de la SPL Estival (3,2 millions d’euros de déficit dont près de 400 000 € de dépenses injustifiées) sont venues un peu plus creusé le fossé entre Joé Bédier et Patrice Selly. Le maire de Saint-André qui reproche également à son homologue de Saint-Benoit de « n’avoir pas respecté sa parole » quant à la gouvernance de la Cirest (2020-2026) dont la présidence devait être partagée entre les deux maires à raison de 3 ans chacun. Autant dire que depuis au moins un an, Selly et Bédier se regardent en chiens de faïence. A peine un bonjour, sans plus ! Le feu couvait donc entre les deux élus, qui tant bien que mal, ont essayé de se retenir.

Patrice Selly : « je n’ai jamais été directeur général de la SPL Estival »

Patrice Selly a d’abord dit ce qu’il pensait de ce rapport présenté aux élus communautaires : « Il est bien précisé dans le rapport de la Chambre régionale des comptes que le passage du statut de SEM à celui de SPL n’est pas à l’origine de la situation d’aujourd’hui (Page 22). Deuxièmement, il est écrit que la concession in house mis en œuvre en mai 2023 n’est pas la cause de cette situation. C’est bien la masse salariale à partir de 2022 qui en est à l’origine . Troisièmement, il s’agit comme souligné dans le rapport d’une dérive financière qui est du fait de la gestion du Pdg de l’époque. Quatrièmement, la CRC parle de prestations douteuses commandées par le Pdg de l’époque et, enfin, cinquièmement, à aucun moment le président de la Cirest n’est mis en cause personnellement dans ce rapport de la Chambre régionale des comptes », insiste Patrice Selly.

Il rappelle que « juste avoir pris connaissance des informations sur les difficultés de la SPL au début 2023, la Cirest a réagi sans délai, graduellement, mais fermement et conformément à la règlementation. Le 4 avril 2023, nous avons adressé un courrier au Pdg pour lui demander des explications;  Le 30 mai 2023, deuxième demande d’explication. A la mi-juin 2023, le Pdg est convoqué devant les élus; Nous recevons des informations incomplètes et peu convaincantes. En juillet 2023 : la Cirest commande un audit qui montre la mauvaise gestion et l’existence de dépenses litigieuses. Le 24 juillet 2023, j’adresse un signalement à la Procureure de la République sur le fondement de l’article 40. Toujours en juillet 2023, le Pdg Ludovic Alamélou est révoqué ».

Patrice Selly poursuit : « l’audit a révélé des irrégularités graves. Notre rôle aujourd’hui est de corriger et de s’assurer que les erreurs commises ne seront plus commises. Laissons la justice faire son travail. A ceux qui s’inquiètent de la continuité service public, je veux leur dire que la Cirest fera son travail. Je n’accepte pas qu’on critique mon équipe pour son travail. Nous sommes une équipe. Avec la SPL Estival, nous travaillons en collaboration. Nous avons mis en place des dispositifs de contrôle. Je tiens à rappeler que sur la période visée, j’étais représentant de la Cirest au sein du CA de la SPL. Il m’était juridiquement interdit de m’immiscer dans la gestion de la SPL. Je n’ai jamais été directeur général de la SPL Estival, qui est une entreprise privée. Le prochain rendez-vous au Tribunal de commerce est fixé à fin novembre. Mon objectif est de mettre en place, sous l’égide du mandataire judiciaire, un plan de financement viable pour préserver l’outil de travail et les emplois. Notre priorité est d’assurer un service public pour les citoyens en fonction des lois qui nous régissent ».

Patrice Selly revient sur la critique qui lui a été faite aussi bien par le maire de Saint-André que par l’intersyndicale en passant par certains élus de l’opposition, à savoir « pourquoi il n’a pas déposé plainte ? ». Il a pris soin d’afficher les articles 40 et 40-1 à l’écran, en estimant avoir déposé plainte depuis juillet 2023, via le signalement à la Procureure sur la base de l’article 40. Sans compter que l’article 40-1 explique bien qu’il appartient maintenant à la Procureure de décider de la suite à donner. Il y a 3 semaines, j’ai adressé un mail à la Procureure pour connaître l’état d’avancement. Le mail est toujours sans réponse. Je me tiens évidemment à la disposition de l’autorité judiciaire pour répondre à toutes les questions pour qu’enfin les responsabilités des uns, des autres soient déterminées dans ce dossier ». Les élus ont écouté avec attention l’intervention du président de la Cirest sur ce dossier de la SPL Estival.

Joé Bédier à Patrice Selly : « moi je m’en fou de vous comme de ma dernière chaussette »

Joé Bédier demande à son tour la parole. Il avait préparé un communiqué, envoyé à la presse une dizaine de minutes avant le conseil communautaire, mais sur place il est allé au-delà et a vidé son cœur. Voici d’abord ce qui est écrit dans le communiqué : « le rapport définitif de la chambre régionale des comptes vient confirmer la catastrophe financière et budgétaire annoncée pour la SPL Estival et la CIREST. Je suis en tant que maire, élu de proximité, estomaqué par le rapport définitif de la chambre régionale des comptes qui démontre l’ensemble des gabegies financières organisées par l’exécutif de la Cirest depuis 2020.

Ce rapport est honteux pour l’exécutif de la Cirest, son Président, qui déclarait en 2020 lors des conseils d’administration que la transformation de la SEM en SPL allait être un gage «de plus grande transparence et d’efficacité ». En tant qu’élu de la microrégion Est, je déplore l’absence totale de considération pour les contribuables publics et pour les habitants de la microrégion. Une gestion aussi hasardeuse d’une société de transport si importante pour notre population réunionnaise est impensable.

Force est de constater que ce rapport exhaustif de la CRC fait état de prises de décisions arbitraires et sans fondement légal la plupart du temps. La synthèse de ce rapport et le champ lexical utilisé dans la totalité du document laisse le lecteur perplexe. Je cite:défaut de contrôle ; Gouvernance défaillante; Dérives financières; Prévisions budgétaires insincères; Procédure d’alerte sans effet; Prestations douteuses et choix couteux; Arrangements et entorses.

Le conseil communautaire prévu ce vendredi 27 septembre à la Cirest est une honte pour l’exécutif de l’intercommunalité en place. Ces fautes graves impactent directement les familles de cette société de transport et au-delà viennent détruire les capacités d’investissements de la Cirest au profit de notre microrégion qui accuse des retards structurels importants.

Le Président de La Cirest ne pourra pas éternellement se cacher derrière la mauvaise gestion de son PDG à qui il a accordé sa confiance en 2020. Il avait même assuré qu’il veillerait attentivement à ce que les fonds publics soient utilisés à bon escient. Malheureusement, la réalité en 2024 est bien autre. A force d’être dans le paraître, il risque aujourd’hui de disparaître. Je rappelle qu’une plainte a été déposée le 9 août 2023 pour détournement de fonds publics et complicité de ce délit et toutes autres infractions que l’enquête permettra de révéler ».

Au conseil communautaire de la Cirest, Joé Bédier s’est lâché en s’adressant à Patrice Selly : « vous avez dit à la radio que certains syndicalistes et moi, on voulait en finir avec vous politiquement. Vous êtes dans la panade, vous me citez comme si je voulais votre mort politique. Moi je suis bien à Saint-André, je dois m’occuper de ma population, à Saint-André. Si vous avez un problème avec Ratenon à Saint-Benoit, ce n’est pas le mien ». Puis Joé Bédier revient sur le dossier de la SPL Estival en parlant de l’ancien Pdg Ludovic Alamélou : « ce monsieur voulait un DS7 avec intérieur cuir, toit ouvrant. 400 000 € de chèques ont été émis sans justification. Vous ne saviez pas ?  Vous êtes président de la Cirest, principal financeur, et vous abondez à abonder sans vous poser de question, sans contrôler. Ce rapport est honteux. Vous déclariez que ce statut de SPL devait être un gage de bonne gestion. Il y a eu prise de position arbitraire et sans fondement légal ».

Le 1er vice-président de la Cirest poursuit : « ce conseil est une honte. Ces fautes graves impactent directement les familles. Aujourd’hui, certains agents se retrouvent en grande souffrance. C’est pas faute d’avoir alerté. Dès les premiers jours, je vous ai averti : « ne faites pas ça ! ». Vous m’avez pris pour un imbécile. Le résultat est catastrophique. J’ai envie de vous dire, Monsieur le président, faut pas essayer de se cacher derrière son petit doigt. Faut assumer! Vous avez accordé votre confiance en 2020 à ce Pdg et vous avez assuré que les fonds publics seraient utilisés à bon escient. Moi je fais une différence entre un signalement et un dépôt de plainte. Moi j’ai déposé une plainte le 9 août 2023  car trop d’argent public  a été dilapidé.

Du jour au lendemain, vous avez transformé un conseiller municipal de Bras-Panon en Pdg. On a inventé un outil pour faire gagner de l’argent à ses petits copains. On m’a dit le boug lé compétent mais il dépense 400 000 € sans justificatif. Il a dépensé autant d’argent et il n’est pas inquiété. Votre introduction ne ressemble à rien. Dites la vérité ! Ne faites pas votre cirque. Vous vous voilez la face. Moi je m’en fou de vous comme de ma dernière chaussette. Mon problème, c’est Saint-André. Et quand vous m’avez dit qu’on partageait la gouvernance de la Cirest. Quel a été votre comportement ? Vos réponses i ressemble à ou même… ». Joé Bédier et les élus de la majorité municipale de Saint-André se lèvent comme un seul homme, prêts à claquer la porte. Mais il est vite rappelé par Patrice Selly qui, tel un boxeur blessé, se relève et lui assène quelques directs : « vous percevez depuis 4 ans 70 000 € pour un travail fictif… ». La suite, vous la connaissez : ça a pété ! (voir vidéo ci-dessus).

Après le départ de Bédier et de ses élus, Daniel Gonthier, conseiller communautaire de l’opposition a pris la parole pour demander à Patrice Selly de déposer plainte avec constitution de partie civile dans le cadre de l’affaire de la SPL Estival, puis de démissionner de la présidence.

Suite au départ des élus de la majorité municipale de Saint-André, il n’y avait plus de quorum pour débattre de la quarantaine de dossiers figurant à l’ordre du jour. Mais la discussion s’est poursuivie entre élus non plus sur l’ordre du jour mais sur le « bèsement » survenu en live entre Bédier et Selly.

Toutes et tous ont « regretté » ce qui s’est passé. Monique Marimoutou-Tacoun, élue de la majorité s’adressant à Daniel Gonthier qui, juste avant, l’avait interpellée : « Avez-vous vu Monsieur Bédier siéger durant 6 ans (de 2014 à 2020) ? Avez-vous vu Monsieur Bédier exercer sa vice-présidence aux transports urbains depuis 2020 ? Il y a eu un vote concernant la SPL Estival. Nous sommes en démocratie, il faut respecter le vote. Monsieur Bédier n’a jamais fait son travail vice-président délégué aux transports à la Cirest. C’est ça aussi qui est la cause de cette dérive. Qu’on soit d’accord ou pas, on est là pour travailler, pour exprimer son point de vue autour d’une table, pas pour claquer la porte, pas pour tenir des propos outranciers, pas pour fuir ses responsabilités en tant qu’élu à qui la population a confié un mandat pour travailler dans l’intérêt de la cité. N’a rien que nous mêmes lé là pou occupe ban créoles, pou travaille pou zot, et pas seulement sek nout’ commune ! ». Applaudissements dans la salle.

« C’est triste, le respect a été bafoué. L’exemple qui a été donné ternit la politique et rend la politique sale. Il y a eu par le passé des prises de bec entre Jean-Paul Virapoullé et Michel Vergoz pour faire avancer les choses, mais toujours dans le respect », a déclaré Dominique Panambalom, l’élu de Sainte-Rose.

Bruno Robert, élu de la majorité, s’est dit pour sa part « choqué par cette séance. C’est pas seulement le président qui vote, c’est tous les élus. Je me senti agressé par les élus de Saint-André. Ils sont en train de s’isoler. Nous les élus, nous avons un devoir d’exemplarité. Cela n’a pas été le cas des élus de la majorité municipale de Saint-André cet après-midi. Ils disent être pour la présomption d’innocence, mais dans le même ils demandent la démission du président de la Cirest dans l’affaire de la SPL Estival.

Jean-Marie Virapoullé : « je les connaissais paresseux… »

Nous, on n’a pas demandé la démission de l’élu qui a été récemment impliqué dans une affaire d’accident de la route … Bédier, ses élus et ses proches sont en permanence dans le buzz, dans la polémique. C’est leur seule façon d’exister. S’ils n’ont plus confiance au président de la Cirest, n’ont qu’à démissionner. Moi, je perçois 199€ d’indemnité en tant que conseiller communautaire de la Cirest et je suis toujours présent lorsqu’ils s’agit de travailler pour la population. Monsieur Bédier dit qu’il défend les salariés mais il ne vote pas les crédits en faveur de la SPL Estival. Que veut la majorité municipale de Saint-André aujourd’hui : la poursuite de la SPL Estival ou sa liquidation ? », s’interroge Bruno Robert.

Jean-Marie Virapoullé  est lui aussi intervenu : « au moins, avec les élus de Saint-André, on a appris que le week-end commence le vendredi à 15 heures. On les connaissait paresseux mais quand même ! Joé Bédier a escamoté le débat. Il a lu le texte que lui a écrit son dir-cab. Après, quand il n’a plus d’argument, il s’en va ». Plus sérieusement, concernant le dossier de la SPL Estival, Jean-Marie Virapoullé estime que « la situation est grave ». Reprenant les écrits de la CRC (explosion des dépenses de recrutement, embauches injustifiées, l’augmentation de certains salaires de manière discrétionnaire, explosion des charges, grand train de vie, augmentation du parc auto), il considère que « la SPL Estival se trouve dans le coma et pas sûr que la grave maladie dont elle souffre soit curable. Personne ne peut dire aujourd’hui ce que deviendra la SPL. Moi je ne fais de procès à personne. Nous sommes des  élus responsables. Nous sommes là pour trouver ensemble des solutions et non pas pour se défausser car nous devons tout mettre en œuvre pour assurer le service public de transports aux usagers de nos communes respectives. Notre attitude sera responsable, sans excès. Nous sommes des partenaires constructifs de l’exécutif ».

Augustin Cazal, élu de la majorité, a abondé dans le sens de ses collègues de Saint-Benoit. « ce n’est pas une attitude responsable. Ce que j’ai vu cet après-midi, c’est pas ça l’esprit communautaire. Je n’ai jamais entendu les collègues de Saint-André proposer une solution. Quoi zot i veut pour la SPL Estival ? Continuer ou fermer ? Concernant la SPL, il faut laisser faire la justice. Pour autant, en tant qu’élus de la Cirest, nous devons poursuivre le travail pour le bien-être de la population de l’Est ? Ça fait pas mal de temps que nous sent à nous maltraité à la Cirest par les élus de Bédier car à chaque fois qu’on devait voter un dossier en faveur des Bénédictins,  band’ Bédier l’a toujours voter contre ».

Le mot de la fin est revenu à Patrice Selly pour préciser que le conseil communautaire sera de nouveau réuni ce mercredi 2 octobre à partir de 18 heures. Le quorum ne sera plus nécessaire.

Cliquez sur le lien ci-dessous pour lire l’intégralité du rapport de la Chambre régionale des comptes sur la gestion de la SPL Estival (exercices de 2018 à 2023) :

04_01__SPL ESTIVAL_ROD2_notification_CIREST