Perquisitions au sein de Nexa (SEM de La Région) : « une affaire qui pourrait avoir des prolongements au pénal », selon Wilfrid Bertile

7 min de lecture
3
Les bureaux de Nexa (devenu depuis La Réunion Développement), situés au 6ème étage de l’immeuble Cadjee au Chaudron (Saint-Denis) ont été perquisitionnés hier, mardi 2 décembre, par les enquêteurs du Parquet européen accompagnés des policiers de la Réunion (une information de nos confrères de Réunion la 1ère). Dans le collimateur du parquet européen, la gestion de la SEM, financée par la Région et par les fonds européens (Feder), concernant la période de 2018 à 2023. Rappelons que Nexa avait pour Pdg de 2016 à 2021, le maire de Saint-Philippe. Nexa avait également fait l’objet d’un rapport cinglant de la Chambre régionale des comptes (CRC).
Lors de la session plénière de la Région, le 7 novembre dernier, le conseiller régional Wilfrid Bertile (également élu de l’opposition municipale à Saint-Philippe) était longuement intervenu sur la gestion de Nexa et sur les conclusions de la CRC. Voici ci-dessous le discours qu’il avait prononcé dans l’hémicyle :
« Madame la présidente,
Chères et chers collègues,
Mesdames et messieurs
Ce rapport de la Chambre Régionale des Comptes concernant la gestion de NEXA agence régionale de développement et d’innovation, pour les exercices 2018 et suivants fait état, je cite ses têtes de chapitres, « de dysfonctionnements de la gouvernance, d’une utilisation contestable des moyens et d’une redéfinition souhaitable des missions de NEXA ». Il fait des recommandations qui ont été notifiées le 17 septembre dernier à notre collectivité et qui sont pour la plupart mises en œuvre par la nouvelle majorité régionale.
« Tout serait donc au mieux dans le meilleur des mondes » pour paraphraser Pangloss l’optimiste précepteur du Candide de Voltaire ? Je ne le pense pas. On ne saurait faire comme si de rien n’était, tourner la page, passer à autre chose. Il nous faut au contraire interroger les faits, en tirer les leçons, agir en conséquence. Ces dysfonctionnements de NEXA ont en effet défrayé la chronique, englouti des fonds publics et porté gravement atteinte à l’image et aux intérêts de la Région.
Nous allons aussi tout à l’heure prendre acte d’un autre rapport de la Chambre Régionale des Comptes concernant alors la SEM Estival. Mais nous aurions tort de croire que seules des SEM réunionnaises sont dans la tourmente. Le problème est national et global. Ces dysfonctionnements sont révélatrices des dérapages du système des SEM et des SPL qui ont largement dévié de leur vocation initiale. Elles ont pris leur essor avec la décentralisation et devaient aider les collectivités à mener à bien leurs projets, notamment dans le domaine de l’aménagement. Elles présentent nombre d’avantages et peuvent rendre les meilleurs services, mais elles exposent aussi les collectivités à de multiples dangers.
Au niveau global, leur prolifération apparaît comme un dévoiement de la décentralisation. Intervenant dans de multiples domaines, elles enlèvent aux assemblées délibérantes le suivi de pans entiers de leurs compétences. Elles doublonnent avec d’autres institutions ou d’autres structures qui s’occupent des mêmes choses et se marchent sur les pieds. Ainsi, selon la CRC, les missions de NEXA je cite « entraient en concurrence et non en complémentarité avec celles de la CCIR, de la Maison de l’export ou encore du Club Export ».
Au point qu’il faille créer de nouvelles structures pour gérer les structures existantes: la Région Réunion a dû créer une direction de l’audit et de contrôle de gestion pour le suivi de ses satellites dont un service dédié à l’articulation de leur action avec la collectivité. Cela me rappelle irrésistiblement le sapeur Camenbert qui creusait un trou pour en boucher un autre.
Cette redondance des structures provoque une obésité accrue des administrations, pèse sur les finances publiques et se montre peu compatible avec les politiques de rigueur – et non d’austérité- que nous devons mener compte tenu du contexte budgétaire. Entre 2018 et 2023, selon le rapport qui nous est soumis, NEXA a coûté à la Région 11,6 M d’euros de fonds propres et 3,8 M de FEDER. Sans oublier les pertes liées aux prises de participations ou aux absorptions de structures ou d’entreprises, depuis l’acquisition des actifs de l’association Hydro-Réunion lors de sa liquidation en 2019, jusqu’à l’entrée en capital de la société Oscadi liquidée en 2021 en passant par la société Bioalgostral liquidée en 2020. Sans oublier l’Agence Film Réunion aux finances dégradées que le PDG d’alors présidait et qu’il voulait intégrer à NEXA.
La CRC souligne que ces liquidations judiciaires ont généré une perte de 4 M€ pour la Région Réunion ainsi qu’une dévalorisation du capital social de NEXA de 5,3 M€ à 1,4 M€ intervenue en 2023.
Ce système qui a dévié et qui permet tous les dérapages fournit un terreau fertile au clientélisme et à la corruption. La CRC parle concernant NEXA du (je cite) « caractère discrétionnaire des recrutements des salariés et des rémunérations ». On ne parle d’ailleurs de ces structures le plus souvent que pour en dénoncer les dérives qui contribuent à dégrader l’image des politiques.
Et quand ces politiques eux-mêmes manquent à leurs devoirs et se comportent en parasites, cela amène la CRC à parler je cite « de dysfonctionnements de la gouvernance et d’une utilisation contestable des moyens ». A cet égard, la responsabilité d’un ancien élu de la Région est particulièrement engagée. En effet, entre 2016 et 2021, NEXA était présidée par le 1er vice -président de la Région. Selon la CRC, il y occupait aussi les fonctions de président-directeur-général rémunéré à tel point qu’avec ses autres casquettes, il dépassait le plafond des indemnités autorisées ce qui lui a valu une condamnation à 8 mois de prison avec sursis et à 10 000 euros d’amendes pour concussion.

« N’y a-t-il pas là de quoi alimenter l’hypothèse qu’il ne s’agissait que d’un emploi fictif ? »

Sa réponse aux observations de la CRC qui figure à la page 78 du rapport est un morceau d’anthologie de ce que peuvent produire l’ignorance, l’arrogance et la cupidité au pouvoir. Ignorance quand il refait l’histoire et ré-interprète les statuts de NEXA qui ne serait pas une société commerciale ou quand il affirme à la CRC, je cite, « que l’objet réel et l’utilisation de la société par la Région l’emportent sur son statut social » (p. 15); arrogance quand il donne des leçons ou fait des procès d’intention à la Région accusé de ne pas avoir fourni les bonnes réponses le concernant à la CRC; au Sidélec accusée de mauvaise foi; à la CRC dont les conclusions sont qualifiées « d’hâtives »(p.81); cupidité qui lui a valu une condamnation au pénal que je viens d’évoquer et qu’illustre l’ensemble de son oeuvre. Il devrait pourtant faire profil bas.
Il n’a pas la conscience tranquille puisqu’il a demandé à être auditionné par la CRC ce qui a été fait le 2 juillet 2024 en présence de son avocat comme indiqué dans le rapport de la CRC.
Ce n’est pas le seul grief qu’on peut lui reprocher : ainsi, la CRC souligne en page 21 de son rapport des irrégularités dans le fonctionnement du CA depuis 2014. Elle donne comme exemple je cite « les procès verbaux des conseils d’administration des 25 novembre 2019 et 10 décembre 2019 (qui) font état de l’annulation des réunions faute de quorum. Ces pièces attestent pourtant que le quorum était atteint ». N’y a-t-il pas là de quoi alimenter un soupçon de faux en écritures publiques ?
De plus, la CRC souligne dans son rapport le non-respect des règles de publicité ainsi que celles de mise en concurrence pour l’ensemble des achats. N’y a-t-il pas là un manquement aux procédures de marchés et plus particulièrement un non respect des articles R.2113-12 et R.2121-7 du code de la commande publique ?
Enfin, la CRC rappelle dans son rapport les multiples casquettes du PDG de NEXA entre 2016 et 2021 qui était aussi je cite « maire de Saint-Philippe depuis 2009, ayant occupé les fonctions de premier vice-président de la Région Réunion, de 3e vice-président de la CASUD et de président de l’Etablissement Public Foncier de La Réunion (EPFR) ».
Manifestement le PDG n’assurait qu’un suivi lointain de NEXA: il indique à la CRC (je cite): « qu’un rapport d’activité présenté en CA de NEXA était transmis tous les ans à la collectivité régionale, une condition sine qua non pour l’obtention des soldes de financement. Je ne saurais vous dire si ces rapports ont fait l’objet d’une présentation en assemblée plénière » (p. 24 du rapport). Ce à quoi la CRC rétorque « qu’il lui incombait de veiller au respect des procédures propres à la SEM ». Même s’il avait été indiqué lors des travaux de la CRC que le PDG ne venait que rarement au siège de NEXA et que les réunions se tenaient généralement à la Région, il émargeait à la SEM pour 1 820 heures annuelles, soit autant que le DG délégué ou le Directeur Administratif et Financier (voir tableau p. 61). On peut se demander où il trouvait le temps de les faire avec ses multiples casquettes tout en résidant à Saint-Philippe. N’y a-t-il pas là de quoi alimenter l’hypothèse qu’il ne s’agissait que d’un emploi fictif ?
L’affaire de NEXA apparaît ainsi comme un cas d’école d’un système qui s’est dévoyé. Il y a incontestablement des responsables de ces dysfonctionnements dénoncés par la CRC. Et le premier d’entre eux semble bien être le PDG de 2016 à 2021 à qui comme le dit la CRC « il incombait de veiller au respect des procédures propres à la SEM ». C’est une affaire qui pourrait avoir des prolongements au pénal. La Région est concernée pour son image, pour ses finances, pour que la population ne désespère pas de la démocratie et de la politique. Je vous remercie pour votre attention ».

Yves Mont-Rouge

montrougeyves@gmail.com
Téléphone : 0692 85 39 64

3 Commentaires

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

Article précédent

Assises de l’enseignement catholique de La Réunion : tous les établissements privés fermés ce vendredi 5 décembre

Article suivant

L’Étang-Salé : noces d’or pour les époux Hoarau et Calpetard

Free Dom