Ce mardi matin, à Saint-Denis, le quartier de Montgaillard a été le théâtre d’une rencontre rare et puissante. Sous l’impulsion du collectif Stop VIF – Protégeons nos enfants !, plusieurs élus, dont François Ruffin et la députée Émeline K/Bidi, ont répondu à l’appel des associations locales et de familles en détresse, réunies autour d’une même cause : dire stop aux violences faites aux enfants.
“Il y a des zones blanches dans notre droit” – Émeline K/Bidi
L’élue réunionnaise, présente “autant par amitié que par devoir”, a retracé son engagement aux côtés des associations bien avant son mandat. Avocate de métier, elle souligne les carences de la loi, malgré les avancées récentes :
“Il manque des moyens. Il y a des zones blanches dans notre droit où enfants et femmes restent sans protection.”
Elle évoque les limites des ordonnances de protection, la lenteur des réponses, et l’urgence d’une mobilisation générale.
Un collectif qui ne lâche rien
Aux côtés de Karoline Chérie, notre reporter sur le terrain, Audrey Coridon du collectif Stop VIF a dénoncé la “non-coordination des acteurs”, qui plonge les familles dans une justice aveugle et souvent injuste :
“On critique, oui, mais on propose aussi. On est là depuis 2022, avec des députés, le Département, et surtout le terrain.”
Elle rappelle le drame d’Eliana, fillette morte sous les coups, point de départ de ce combat collectif. Et pose une question glaçante :
“Est-ce normal qu’une mère soit forcée de confier ses enfants à un conjoint violent, sous prétexte d’une décision du juge aux affaires familiales ?”
La ville de Saint-Denis mobilisée dans les écoles
La maire de Saint-Denis a détaillé les actions concrètes déjà en cours dans la commune :
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L’École du bonheur : un espace périscolaire pour détecter, accompagner, sensibiliser.
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Des ateliers avec des assos comme Colosse aux pieds d’argile, touchant 3 000 enfants.
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Un programme dédié aux mamans, avec coaching, psy, et reconquête de soi.
Mais elle dénonce aussi un dysfonctionnement grave :
“Les signalements restent sans retour. Les enfants sont seuls avec leur violence. C’est un scandale.”
Aller vers les familles, même dans les galeries commerciales
Au cœur de cette mobilisation, il y a aussi une stratégie bien simple mais efficace : aller là où sont les gens.
Depuis plusieurs mois, les membres du collectif se déplacent une fois par mois dans les Carrefour de l’île – Nord, Sud, Est, Ouest – pour sensibiliser les familles là où elles font leurs courses.
“On intervient toute une journée, avec des psychologues, des thérapeutes, des intervenants sociaux… On propose aussi des animations pour les enfants. Le but, c’est de se rendre visible, d’expliquer qui on est et ce qu’on fait.”
Un stand, quelques chaises, et beaucoup d’écoute : une autre façon d’entrer en contact avec des familles qui, parfois, n’oseraient jamais franchir les portes d’un bureau.
François Ruffin : “Ce que vous faites, c’est du travail invisible”
Le député venu de métropole l’a dit d’emblée : il était là pour écouter. Et ce qu’il a entendu l’a profondément interpellé.
“Quand on apprend que 3 enfants par classe sont victimes de violences sexuelles… Ça aurait dû provoquer un électrochoc. Et pourtant, rien.”
Il interpelle l’État sur son rôle : non pas inventer la société, mais soutenir ceux qui la changent déjà. Il a aussi rappelé avoir déposé une proposition de loi pour restreindre la garde alternée en cas de violences conjugales.
“Certains enfants ne savent même pas qu’ils vivent dans la violence”
C’est sans doute l’un des témoignages les plus marquants recueillis par Karoline Chérie : celui d’un enfant, né et élevé dans un climat de violence, pour qui les cris et les coups sont devenus la norme :
“Pour lui, c’est comme si j’avais acheté du pain ce matin. C’est son quotidien.”
“C’est un fléau. Il faut une chaîne. Une vraie.”
De la députée à l’associatif, en passant par les élus locaux, une phrase revient : on ne peut plus faire semblant. Il faut du lien, du concret, de l’action. Ce qui s’est passé ce matin à Montgaillard, c’est ça : une chaîne humaine, unie face au silence et à l’impuissance.
Prochaine étape ? Une nouvelle rencontre est prévue avec la Délégation aux droits des enfants à l’Assemblée nationale, le 16 septembre prochain. En espérant que cette fois, la parole des familles, des enfants, et des petites mains soit vraiment entendue.
Justice pour les enfants : le collectif Stop VIF! dénonce « un système à deux vitesses »
A travers un communiqué le collectif Stop VIF! rappelle, avec force et amertume, qu’il n’y a « pas de trêve pour la violence faite aux enfants — et encore moins pour l’impunité qui l’entoure. »
« Vive les vacances ! Vive la violence ! vive La France !
Pas de vacances pour les injustices, pas de vacances pour les enfants battus et torturés et pas de vacances pour les pédocriminels !
Et pas de vacances pour le collectif qui continue son combat, même si parfois nous avons l’impression de nous battre contre des moulins à vent..
Dernier fait en date :
On se souvient encore du directeur d’école qui a abusé d’une jeune adolescente de 14 ans dans un avion, alors que celle-ci rentrait d’un voyage pédagogique.
Les faits font état d’un cinquantenaire qui selon ses dires, sous l’emprise de calmants, serait devenu somnambule et amnésique. En pleine nuit, alors que la jeune fille était endormie, il abuse d’elle et lui impose des attouchements. Celle-ci choquée se plaint immédiatement auprès du personnel naviguant qui interpelle l’individu, repêché par les forces de l’ordre à son arrivée.
Le mercredi 2 juillet dernier, l’homme reconnait les faits au tribunal de Champ Fleuri, sous couvert d’une amnésie provoquée par ses médicaments. Grâce à la joute verbale de son avocate, il échappe à la prison et ressort complètement libre, sous les yeux accablés de la famille de jeune mineure.
Nous, collectif sommes restés auprès de cette famille lors de son jugement afin de lui apporter tout notre soutien dans cette épreuve. Nous avons également assisté toute l’après-midi à un certain nombre de délibérations du Tribunal sur d’autres affaires. Ce qui est fout et l’incroyable, c’est d’avoir observé une certaine différenciation entre des affaires qui engagent des adultes et celles qui engagent des mineurs.
Des affaires d’alcool, de trafics de stupéfiants ou de vols à l’issu desquelles les coupables partent, pour la plupart, en prison de suite, et ce, à juste titre. Tandis qu’ici sur une affaire d’abus sexuel sur mineur, le coupable ressort libre. Nous estimons tout de même que les petites vies humaines méritent autant, voir plus de considération sur la dureté des peines à donner aux prévenus que pour ce type d’affaires matérielles. De surcroit des affaires qui bien souvent, mettent en cause des « petites mains », hommes et femmes, de classe extrêmement modeste et qui souffrent de carences psychologiques, émotionnelles et cognitives.
Nous demeurons profondément indignées et épuisées de constater que la Justice française continue encore et toujours à minimiser les affaires de violences faites aux mineurs, en concédant aux auteurs des circonstances atténuantes. Pire encore, le système dans son ensemble persiste à entretenir un déni collectif. Il reste incapable de reconnaître que les vies brisées de ces enfants amènent, à l’âge adulte des parcours marqués par la souffrance, l’errance et parfois l’autodestruction, menant à des situations toxiques et préjudiciables. Tout comme ces « pauvres diables » que nous avons vu se succéder cet après-midi-là.
Enfants non protégés, ils deviennent trop souvent des adultes non intégrés. Et pour nos enfants, les procédures aboutissent soit à un classement sans suite, soit à des jugements se soldant par des peines avec sursis.
Qui récupère ces enfants brisés ? Qui récupère ces familles qui ne croient plus en cet Etat de non Droit ?
Cet Etat qui soutient et qui cautionne par son incapacité à sortir de ce déni ? Le déni qu’un adulte peut faire du mal à un enfant et la remise en question permanente de la parole de l’enfant…
Nous en avons assez. Et pourtant, nous continuons depuis 2021, à travailler sur les failles du système…Nous ne faisons pas que dénoncer, nous observons et nous proposons !
Nous avons travaillé avec les 7 députés de la Réunion ; nous avons aussi rencontré sous l’ancienne mouture du Gouvernement Macron, le ministère de la Famille ; en troisième lieu, nous avons fait de nombreuses propositions au sein de l’Observatoire Départemental de la Protection de l’Enfance pour le Département de la Réunion. Puis, enfin nous avons rencontré les équipes de l’ancien ministre de l’Education, Gabriel Attal- lors de sa venue à la Réunion.
Nous avons sans cesse, au sein de ces instances, requestionné les notions de Droit de Visite et d’Hébergement ainsi que l’autorité parentale, lorsqu’un des parents est mis en cause dans une affaire de viol ou de violence de quelque sorte sur son enfant. Que faire lorsque l’on est contraint par la loi de remettre son enfant au parent, sous le coup d’une enquête pénale, pour violence sur celui-ci ? C’est l’impasse dans laquelle se retrouvent tant de familles que nous accompagnons.
Les incohérences du système doivent nécessairement conduire à un changement des modes de fonctionnement et plus de coordination au niveau du Parquet pour mieux appréhender les situations de ces centaines de familles perdues dans ce type de situation insupportable.
L’usage abusif des termes d’« aliénation parentale » reprochée au parent qui se bat pour protéger son enfant afin de le soustraire au joug de son bourreau…est tout autant insupportable.
C’est un combat que nous menons sans relâche dans une démarche constructive et agile.
Malheureusement souvent perçu comme une levée de voile gênante. Alors que nous ne faisons pas que relever les dysfonctionnements, nous apportons également des propositions concrètes, dont voici quelques-unes :
Mise en place d’une coordination inter-juridictionnelle, afin de garantir une meilleure communication entre les différentes instances judiciaires.
Création d’un procureur référent, chargé de centraliser les procédures civiles et pénales concernant les violences faites aux mineurs.
Obligation pour le juge aux affaires familiales (JAF) de solliciter l’avis du parquet avant de statuer, dès lors qu’une enquête pénale est en cours.
Application stricte du principe de précaution : en cas de signalement ou de plainte grave, le JAF devrait automatiquement surseoir à statuer ou rendre une ordonnance restrictive concernant les contacts entre l’enfant et l’auteur présumé, jusqu’à clarification de la situation.
Respect rigoureux de l’article 1180-5 du Code de procédure civile, qui permet de suspendre l’exercice de l’autorité parentale en cas de mise en danger de l’enfant.
Nous rappelons alors l’importance de l’opinion publique, des professionnels du social et de la santé ainsi que de la justice et de l’Education, de se joindre à nous pour lever l’omerta. Chacun à son humble niveau.
Car rien de nouveau sous le soleil des vacances, derrière les murs, des petits cœurs enchainés continuent de saigner. Et, nous en sommes tous responsables !
Mais nous ne lâchons rien !
Dans le cadre de leurs missions parlementaires, deux députés de l’Assemblée nationale ont souhaité rencontrer l’association Écoute Moi, Protège-Moi, Aide Moi (EPA) qui œuvre au sein du collectif, afin d’échanger sur nos actions de terrain en faveur des enfants et des familles en détresse à La Réunion :
• M. François Ruffin, député, sera accueilli le mardi 29 juillet 2025 de 10h à 12h à notre local de Montgaillard (Pinarello) – Saint-Denis
• Mme Perrine Goulet (et sa délégation) présidente de la Délégation aux droits des enfants à l’Assemblée nationale, viendra à son tour le mardi 16 septembre 2025 de 11h à 12h.
Leur démarche témoigne de la reconnaissance nationale de notre travail, mais aussi de la force de notre positionnement : au collectif et à l’association EPA, nous ne mettons aucune frontière, d’ordre politique, dans le dialogue dès lors qu’il s’agit de défendre les droits de l’enfant.
Force est de constater qu’aujourd’hui, après la dissolution de l’Assemblée en 2024, l’ensemble du travail pour faire avancer la cause de la protection de l’enfance, est resté bloqué sur les bancs de l’Assemblée nationale, en dépit des propositions soutenues, avec nous, par les différents députés locaux dans les commissions dédiées. Et surtout en dépit de l’urgence. Nous le rappelons, selon la CRIP, près de 6000 signalements par an sont faits pour dénoncer des violences sur mineurs à la Réunion. 6000 enfants victimes visibles, alors que nous savons qu’autant d’autres souffrent en silence.
A toutes les forces politiques en présence et engagées, à l’ensemble des Institutions concernées et au responsabilité, nous ne cesserons de crier que nous sommes résolument opposés à cette France : celle qui fête les vacances, les yeux bandés de janvier à décembre laissant nos enfants les pieds et les mains liés, pour un avenir bien sombre, loin de la conscience des adultes censés être protecteurs et bienveillants. »


