Il existe un angle mort douloureux dans notre société : celui des violences commises sous couvert d’autorité, puis ensevelies sous le poids du silence institutionnel. Parmi elles, les abus de certains enseignants sur leurs élèves demeurent l’une des blessures les plus corrosives, parce qu’elles frappent là où l’on promettait protection, transmission et confiance.
Ces adultes investis d’un pouvoir symbolique — celui du savoir, de l’évaluation, de l’avenir — savent parfois exploiter l’admiration, la vulnérabilité ou la confusion propres à l’adolescence. Il ne s’agit pas de « relations », encore moins de consentement : il s’agit d’une emprise. Une manipulation lente, souvent invisible, où l’élève est isolé, culpabilisé, persuadé d’être complice de ce qui lui arrive. Le cadre scolaire, censé être un refuge, devient alors un territoire de peur et de dissonance : comment dénoncer celui qui note, qui décide, qui est cru d’avance ?
Lorsque, des années plus tard, les victimes trouvent enfin la force de parler, elles se heurtent trop souvent à un mur administratif et judiciaire. Enquêtes classées sans suite faute de « preuves suffisantes », délais qui effacent les faits, témoignages mis en doute parce que la parole est tardive — sans que jamais ne soit interrogée la raison de ce silence. L’impunité n’est pas seulement une absence de condamnation : elle est une seconde violence. Elle confirme à la victime que sa douleur n’a pas de poids, que l’institution se protège elle-même avant de protéger les corps et les esprits qu’elle accueille.
Devenus adultes, ces anciens élèves portent encore les traces de ce qui leur a été volé. La confiance en l’autorité est fissurée, l’estime de soi fragilisée, les relations affectives traversées par la peur de l’emprise ou de l’abandon. Le corps se souvient quand les mots manquent ; l’anxiété, la honte, les troubles dissociatifs s’invitent dans le quotidien. Se reconstruire demande un travail long, coûteux, souvent solitaire : apprendre à nommer ce qui a été vécu, à se défaire d’une culpabilité qui n’a jamais été la leur, à accepter que la justice ne viendra peut-être pas réparer.
Écrire, témoigner, se rassembler deviennent alors des actes de résistance. Ils rappellent une vérité essentielle : la responsabilité incombe toujours à l’adulte détenteur du pouvoir. Reconnaître cette réalité, c’est ouvrir la voie à une autre exigence — celle d’institutions qui écoutent, protègent et agissent, afin que plus jamais le silence ne soit le prix à payer pour avoir voulu apprendre.

